Condamnation de Succès Masra à 20 ans de prison au Tchad

Samedi, la justice tchadienne a condamné l'ancien premier ministre et opposant Succès Masra à 20 ans d'emprisonnement ferme.

Condamnation de Succès Masra à 20 ans de prison au Tchad
Succès Masra, ancien premier ministre par intérim du Tchad, accueille ses partisans pendant un rassemblement électoral à N'Djamena, le 4 mai 2024.

Succès Masra, ex-premier ministre et chef du principal parti d'opposition au Tchad, a reçu une peine de 20 ans de prison ferme samedi par le tribunal de N'Djamena, selon un journaliste de l'AFP présent.

Il a été jugé coupable de « diffusion de messages haineux et xénophobes » et de « complicité de meurtre » lié au drame de Mandakao. En mai, un conflit entre communautés a fait 42 victimes.

« Notre client a subi une humiliation et une ignominie », a déclaré Francis Kadjilembaye, coordonnateur des avocats de la défense, à l'AFP.

« Condamné sans preuves tangibles »

« Il a été condamné sur des suppositions, sans aucune preuve », a-t-il ajouté. Succès Masra doit aussi payer une amende d'un milliard de francs CFA (environ 1,4 million de francs suisses).

Samedi soir, des militants du parti « Les Transformateurs » ont protesté à N'Djamena contre la condamnation de leur président. Bedoumra Kordjé, ancien ministre des Finances et ex-vice-président de la Banque africaine de développement, a été nommé provisoirement à la tête du parti.

Vendredi, le parquet avait requis 25 ans de prison ferme pour Succès Masra et les autres accusés.

42 personnes tuées à Mandakao le 14 mai

Ce procès comporte deux aspects : l'un implique près de 70 hommes accusés de participation au massacre du 14 mai, et l'autre concerne Succès Masra, accusé d'avoir incité à ces violences.

Le 14 mai, 42 personnes, « majoritairement des femmes et des enfants », ont été tuées à Mandakao dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest), selon les autorités judiciaires tchadiennes.

Arrêté le 16 mai, le dirigeant des Transformateurs était jugé depuis jeudi pour « incitation à la haine, à la révolte, constitution de bandes armées, complicité d'assassinat, incendie volontaire et profanation de sépultures ».

« Apprenons à utiliser une arme à feu »

Un message audio, présenté comme datant de 2023, a été utilisé par la justice pour accuser Succès Masra. Selon une traduction française du message en ngambaye, il aurait dit : « Apprenons-nous les uns et les autres à utiliser une arme à feu [...], soyons tous des boucliers protecteurs ».

Entendu jeudi pour la première fois au tribunal, en tenue traditionnelle blanche, Succès Masra a déclaré : « Vous avez devant vous un homme qui croit en la justice. Je nie tous les faits qui me sont reprochés ».

Détenu depuis mi-mai, l'opposant a observé une grève de la faim d'une semaine. Le 19 juin, ses avocats ont déposé une demande de libération provisoire, rejetée par la justice.

Un « accord de réconciliation » avec la junte en 2023

Économiste formé en France et au Cameroun, Succès Masra, 41 ans, a été nommé premier ministre cinq mois avant l'élection présidentielle de mai 2024. Il était candidat contre Mahamat Idriss Déby Itno, déclaré vainqueur avec plus de 60% des voix.

Depuis 2018, sous la présidence d'Idriss Déby Itno, père du chef d'État actuel, Succès Masra était le seul opposant à mobiliser des milliers de personnes à N'Djamena pour des manifestations souvent réprimées violemment.

Comme d'autres dirigeants d'opposition, il a été contraint à l'exil après une manifestation meurtrière le 20 octobre 2022, contre l'extension de deux ans de la transition politique par les militaires, suite à la mort du président Idriss Déby Itno en 2021.

Il est retourné au Tchad fin 2023 après avoir signé un « accord de réconciliation » avec la junte. Originaire du sud du pays, Succès Masra appartient à l'ethnie ngambaye et est très populaire dans les régions méridionales, majoritairement chrétiennes et animistes, qui se sentent marginalisées par le régime de N'Djamena, à majorité musulmane.